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  PTSI - Lycée
Raoul Follereau,
Belfort
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  Systèmes d'unités

Rubriques :

Introduction |

I - Comment définir des unités ? |

II - Les motivations des redéfinitions : exemple historique du mètre |

III - Liens entre définition et mise en pratique d'une unité |

IV - Exemple d'une redéfinition moderne : le kilogramme |← vous êtes ici

V - Une définition plus concrète du nouveau kilogramme |

Biblio et webographie |




IV - Exemple d'une redéfinition moderne : le kilogramme

Cette sous-partie s'intéresse à l'unité SI kilogramme. Tout en restant assez général, nous soulignons quelques propriétés de l'ancienne définition, donnons quelques chiffres concernant les incertitudes de mesure, esquissons le processus de mesure de $h$ à l'aide de la balance de Kibble et concluons sur la redéfinition qui fixe $\{h\}$.

 

4.a - L'ancienne définition

Depuis 1889 le kilogramme est défini comme "la masse du prototype international du kilogramme", ce prototype étant un cylindre en alliage de platine-iridium stocké dans les locaux du BIPM près de Paris. On le nomme le PIK.

Il en a été réalisé des copies officielles conservées au même endroit, également en alliage platine-irridium, six aujourd'hui, dont les masses peuvent être comparées entre elles afin d'en étudier la variation (voir graphique ci-dessous) : on a constaté des variations de l'ordre de la dizaine de microgrammes, en partie à cause d'adsoprtion ou de perte de matière. La masse du prototype ou d'une copie varie d'ailleurs du même ordre de grandeur après un nettoyage. Le BIPM étudie donc en détail et tente de quantifier du mieux possible ces variations de masses. Si les copies peuvent être étalonnées au microgramme près (donc incertitude relative de $10^{-9}$), ce processus de gain/perte de masse montre que l'incertitude relative permise est plutôt de l'ordre de $10^{-8}$.

 

Variation de la masse des copies du PIK en fonction du temps. Le PIK est pris pour référence, même si sa masse varie également au cours du temps. L'incertitude type sur les mesures de 2014 est de $\pm 1\,\mathrm{\mu g}$, soit une incertitude type relative de $10^{-9}$.

Sources : réalisation du kilogramme sur le site du BIPM, à propos du nouveau SI sur le site du BIPM, l'article contenant la figure de l'évolution des masses.

Il existe ensuite des copies de travail au BIPM, utilisées pour étalonner les étalons nationaux qui sont eux-mêmes conservés dans les laboratoires nationaux des différents pays. Ces derniers servent à leur tour à étalonner des masses étalons secondaires dont disposent divers organismes, et/ou des masses étalons commerciales. Il y a donc toute une chaîne d'étalonnage, qui garantit ainsi que les masses sont mesurées à partir de la même référence sur toute la planète !

Tous les étalons ne sont pas en platine iridié : il y a également des copies en acier inoxydable, dont la masse est donnée à $15\,\mathrm{\mu g}$ d'après le BIPM, soit donc une incertitude relative de $10^{-8}$. Ceci est moins bon que celle de $10^{-9}$ pour les copies en platine-irridium, essentiellement parce que leur densité étant différente de celle du PIK, ils ont un volume différent et subissent donc une poussée d'Archimède de l'air qui est différente : il y a donc cette incertitude supplémentaire sur la poussée d'Archimède. On peut donner quelques chiffres issus du BIPM :

  • Différence de poussée d'Archimède : $\rho_\text{air}(V_\text{inox}-V_\text{PIK}) = 96\,\mathrm{mg}$, avec une incertitude type de $10\,\mathrm{\mu g}$.
  • Différence de masse due au fait que la copie en inox est plus haute, possède donc un centre de gravité environ un centimètre en dessus de celui du PIK, et est donc soumise à une pesanteur plus faible (!) : $m\dfrac{g'(z)}{g_0}\times1\,\text{cm} \simeq 3\,\mathrm{\mu g}$, ce qui montre la précision des mesures !

 

Le prototype international du kilogramme (PIK), le même depuis 1889, stocké à Sèvre dans les locaux du BIPM sous trois cloches de verre. La hauteur et le diamètre du cylindre sont de 3.9 cm environ. Source : Christian J. Borde.

 

4.b - Mesures de $h$ dans l'ancien système, puis nouvelle définition

Nous l'avons dit dans le I, le kilogramme est redéfini en 2018 pour être tel que la valeur numérique de la constante de Planck est $\{h\}=6.626\,070\,15\times10^{-34}$ lorsque $h$ est mesurée en $\mathrm{kg\cdot m^2 \cdot s^{-1}}$. Les unités $\mathrm{m}$ et $\mathrm{s}$ étant définies par ailleurs, ceci définit l'unité $\mathrm{kg}$. Le processus de redéfinition suit celui décrit pour le mètre dans la partie III. La première étape est d'aboutir à une mesure de $h$ dans les anciennes unités, la plus précise possible. Cette mesure est effectuée à l'aide d'une technique complexe et précise, qui utilise une balance de Kibble (ou balance de Watt), et d'une seconde technique (la sphère de silicium) indépendante dont nous ne parlons pas ici.

 

Mesure de $h$ en fonction de l'ancienne unité $\mathrm{kg}$.

Principe : la balance de Kibble compare l'action exercée par une masse dans le champ de pesanteur terrestre à l'action de Laplace exercée par un champ magnétique sur une bobine. Le courant et la tension sont mesurés à travers des effets quantiques, ce qui permet d'établir une formule qui relie la masse $m$ à la constante de Planck $h$ (et à d'autres paramètres mesurés indépendamment, comme l'accélération de la pesanteur $g$, la fréquence de l'effet Josephson, une vitesse par interférométrie, etc.) : on a donc une relation du type $f_{p_i}(h,m)=0$, les $p_i$ étant les paramètres sus-mentionnés. Ainsi connaissant la masse (on utilise un étalon), on peut utiliser $f$ pour isoler $h$ et déterminer sa valeur.

Il y a aujourd'hui moins d'une dizaine de balances de Kibble dans le monde, qui permettent les mesures les plus précises de $h$. L'organisme en charge de récupérer les mesures des différents groupes et d'aboutir à une valeur moyenne de $h$ est le CODATA. Il a posé une date limite au 1er juillet 2017 pour que les différents groupes terminent leurs mesures et donnent leur valeur de $h$, assortie évidemment d'une incertitude. C'est ce qu'ils ont fait entre mai et fin juin 2017. Par exemple :

  • Au NIST aux États-Unis : $h = 6.626\,069\,934(89)\times10^{-34}\,\mathrm{J\cdot s}$, incertitude type relative : $13\times10^{-9}$.

    La valeur publiée par le NIST résulte d'un traitement statistique de 1174 mesures effectuées sur 16 mois. On note l'utilisation de différents étalons de masse $m$ pour faire fonctionner la balance (un par couleur). Source : lien plus haut.

    Autre lien NIST ou ici.

  • Au NRC au Canada : $h = 6.626\,070\,133(60)\times10^{-34}\,\mathrm{J\cdot s}$, incertitude type relative : $9.1\times10^{-9}$.

  • Au LNE en France : $h = 6.626\,070\,41(38)\times10^{-34}\,\mathrm{J\cdot s}$, incertitude type relative : $57\times10^{-9}$.

Le CODATA a ensuite mis en commun ces résultats, et via des ajustements en a déduit une valeur mesurée de $h$ (et son incertitude) : $h = 6.626\,070\,150(69)\times10^{-34}\,\mathrm{J\cdot s}$, incertitude type relative : $10\times10^{-9}$.

Mesures de $h$ dans l'ancien système d'unité (avec le kg du PIK) par différents groupes au fil des années. En violet : résultats dus à une balance de Kibble. En bleu : utilisation d'une autre méthode (Avogadro project). En pointillés rouges la valeur retenue par le CODATA en 2017 avec son incertitude type.


Balance de Kibble du NIST. L'ensemble mesure environ 2.5m de hauteur, et est placé dans une enceinte sous vide pour opérer. On distingue à droite le plateau sur lequel est posé la masse test, ainsi que des interféromètres de mesure des déplacements sur la base. Source : NIST.

Détails sur la méthode : voir l'annexe en bas de page, ou plus technique par exemple The watt or Kibble balance: a technique for implementing the new SI definition of the unit of mass, ou plus pédagogique avec des lego sur le site du NIST, avec article associé.

 

Accord sur la valeur de définition $\{h\}_\text{nouveau kg}$

Sur recommandation du CODATA, le BIPM a donc choisi la valeur numérique suivante pour $h$, lorsqu'exprimée dans la nouvelle unité kilogramme : \begin{equation} \{h\}_\text{kg nouveau} = 6.626\,070\,150 \times 10^{-34}. \end{equation} Ainsi, le nouveau kilogramme est l'unité de masse telle que \begin{equation} h = 6.626\,070\,150\times 10^{-34}\,\mathrm{kg_\text{nouveau}\cdot m^2 \cdot s^{-1}} \end{equation} exactement.

On ne peut donc plus mesurer $h$ dans ce nouveau système d'unité, mais on peut mesurer la masse du PIK !

 

4.c - Comment mesurer des masses concrètement dans le nouveau SI ?

La définition du nouveau kilogramme via la fixation de la valeur numérique de $h$ ne dit rien sur la façon concrète de mesurer des masses, c'est-à-dire sur les réalisations pratiques du kilogramme. Les réalisations les plus précises seront pour l'instant celles qui utilisent le même dispositif qui permettait, avant la redéfinition, de mesurer $h$ : la balance de Kibble.

Il suffit en effet d'utiliser différemment la relation $f_{p_i}(h,m)=0$. Cette fois la valeur numérique de $h$ est connue exactement, il reste donc à isoler $m$ pour pouvoir l'exprimer dans la nouvelle unité.

Il n'y a certes qu'une dizaine de laboratoires capables de faire ceci, mais c'est mieux que l'unique PIK qui sort de son coffre tous les 50 ans ! De plus et contrairement à la masse du PIK, la constante de Planck ne varie pas dans le temps.

Concernant les incertitudes liées à cette réalisation, celles attendues au NIST sont de $13\,\mathrm{\mu g}$ à l'échelle du kilogramme, ce qui est similaire à une comparaison avec un standard dérivé du PIK. Mais il sera possible de faire mieux à l'avenir, alors que les comparaisons avec le PIK ne pouvaient pas s'améliorer. De plus, d'autres réalisations pour des masses petites sont possibles, par exemple le NIST développe une balance électrostatique pour des masses de $50\,\mathrm{\mu g}$ à $30\,\mathrm{mg}$, avec cette fois un gain en précision par rapport à une comparaison au PIK. Il n'y a ainsi aucune technique particulière qui définit le kilogramme, mais un ensemble de réalisations de la définition (valeur numérique de $h$) qui pourront être adaptées, améliorées, inventées...

Enfin, citons le site du NIST : "consumers shouldn't expect to use a Kibble balance to weigh their bananas at the supermarket". La chaine de masses étalons existera toujours et sera utilisée à l'identique pour disséminer le kilogramme à l'échelle d'un territoire.




Annnexe : la balance de Kibble


(schéma adapté de Robinson et al., 2015.)

En mode statique le poids $mg$ de la masse est compensé par la force de Laplace $BlI$ agissant sur la bobine. En mode dynamique la bobine se déplace à une vitesse $u$, ce qui induit une ddp $V_2=Bl\times u$ aux bornes de la bobine. L'intérêt des deux modes est d'éliminer le terme $Bl$ difficile à mesurer : on a $\dfrac{mg}{I} = Bl = \dfrac{V_2}{u}$, soit donc $mgu\times\dfrac{1}{V_2I} = 1$. On mesure :

  • $I$ via $I = V_1/R$.

  • $u$ par interférométrie (fréquence de défilement des franges $\times$ longueur d'onde du laser, cette dernière étant donnée par $c/\nu_\text{laser}$).

  • $R$ par comparaison à une résistance de Hall dans le régime quantique, ce qui donne $R$ comme un nombre réel $\gamma$ de fois la résistance $R_K = h/e^2$ (figure~\ref{fig:Hall}).

  • $V_1$ et $V_2$ par comparaison à un voltage généré par une jonction Josephson, ce qui donne $V_1$ comme un entier $n_1$ fois la fréquence $f_1$ de l'onde envoyée sur la jonction fois $K_J = {2e}/{h}$, et de même pour $V_2$ (figure ci-dessous).

  • $g$ par gravimétrie absolue (mesure de la vitesse de chute d'un miroir par interférométrie, même méthode que pour $u$).

On a donc avec ce modèle simplifié l'équation de fonctionnement, dans laquelle on isole au choix $h$ ou $m$ :

\begin{equation}\label{equ:Kibble} f_{n_1,n_2,f_1,f_2,\gamma,g,u}(h,m) = mgu \times \dfrac{4\gamma}{n_1n_2f_1f_2\,h} = 1. \end{equation}

Remarquons que toutes ces mesures n'impliquent finalement que des mesures de fréquences, ce qui n'est pas un hasard mais une conséquence imposée par la structure même du SI (choix des grandeurs de base et des unités de base) que nous détaillons ailleurs. Ceci est un avantage car la fréquence est la grandeur mesurée le plus précisément dans le SI.

Enfin, parvenir à une précision relative de $10^{-8}$ requiert un contrôle drastique : température à $\pm 4 \,\mathrm{mK}$, écrantage des champs parasites, fonctionnement sous vide, cartographie 3D de la pesanteur au gravimètre à $10^{-9}$ (présence des murs, de la balance elle-même, marées terrestres), mesure des fréquences par horloge atomique, au LNE dalle en béton de $6\times 6\times 2$ mètres reposant sur quatre poteaux de 12\,m ancrés dans le sable de Fontainebleau...


L'effet Hall quantique


Gauche : schéma de la situation où l'effet Hall apparaît. Droite : évolution de la résistance parallèle $R_{//}=V_{//}/I$ et de la résistance de Hall $R_\perp=V_\perp/I$ en fonction du champ magnétique. C'est cette dernière qui est quantifiée, les plateaux étant aux valeurs $R_\perp = R_K/n$, $n\in\mathbb{N}^*$, $R_K = h/e^2 = 25.8\,\mathrm{k\Omega}$. Cette quantification permet de connaître précisément la valeur de $R_\perp$ et donc de fournir un étalon de résistance extrêmement précis.


L'effet Josephson quantique


Gauche : schéma de la situation où l'effet Josephson apparaît. Droite : évolution schématique de la différence de potentiel en fonction du courant parcourant la jonction. La différence de potentiel $V_{AB}$ est quantifiée, les plateaux étant aux valeurs $V_{AB} = n\times f/K_J$, $n\in\mathbb{Z}$, $K_J = 2e/h$. Après mesure de $f$, cette quantification permet de connaître précisément la valeur de $V$ et donc de fournir un étalon de tension extrêmement précis.



  Site version 08/2018.
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